Marguerite Duportal

 
 

Poétesse des année 1930, Marguerite Duportal est d'origine
dauphinoise ; l'ensemble de son oeuvre, d'inspiration catholique,
fait quelquefois penser à la tendre simplicité des vers
d'un Françis Jammes :

"Il va neiger dans quelques jours.Je me souviens de l'an dernier. Je me souviens de mes tristesses au coin du feu. Si l'on m'avait demandé : qu'est-ce ? J'aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n'est rien."

                         ( Il va neiger- Francis Jammes 1898 )

Paru aux éditions Luyck :    Les Chrysalides
                                                Le Prisme des heures
                                                Recueillements
                                                Et alors il advint ...

Couronnée par le Cercle artistique et littéraire de Gand
Couronnée par L'Académie littéraire de Marseille

 

Extraits du " Prisme des heures "

 

 

       La neige tombe dans la cour

O neige ! neige ! neige ! avalanche en parcelles !
Tourbillonnement clair par ma vitre aperçu...
Hallucination de blanches étincelles
Dont je subis la griserie à mon insu...

C'est un vol à l'envers de plumes, de pétales,
Que le ciel jette au sol, où je ne les vois pas :
Et j'éprouve l'étrange impression mentale
De queque ascension faite de haut en bas.

Sous mes yeux fascinés la chute continue
Vertige de flocons, vous troublez ma raison !
Et je crois voir monter, monter jusqu'à la nue,
A l'encontre de vos fleurs blanches, ma maison.

                              Marguerite Duportal

 


 

 

      Sapins dauphinois et pins de Provence

 

Les sapins dauphinois sont frères des grands pins,
Des grands pins ombrageant les rives de Provence :
Car un lien d'amour, effaçant la distance
Du site maritime au paysage alpin,
Unit dans la beauté les provinces de France.

Les sapins ont des bras largement étendus,
Largement étendus pour bénir l'herbe grasse,
Pour montrer son chemin au voyageur qui passe,
S'offrir, quand vient Noël, aux jouets suspendus,
Et se fourrer de neige ou se draper de glace.

Les membres des grands pins, tordus aux vents de mer,
Aux vents de mer jetant le défi de leur force,
Tout nourris de soleil de la sève à l'écorce,
Redressent dans l'air bleu leurs aiguilles d'or vert
Que la lumière aimante et le soleil amorce.

Aux branches des sapins niche un peuple fluet,
Peuple fluet d'oiseaux, qui jase et qui sautille,
Et, sous leur frange sombre et tombante, fourmille
Le petit monde noir des insectes muets,
Courant parmi l'humus, la souche et la brindille.

Et l'on voit, sous les bras des hauts pins parasols,
Des hauts pins parasols dominant l'eau luisante,
L'eau qui baigne là-bas Céphalonie et Zanthe,
Passer, frôlant les nues et dédaigneux du sol,
Les goélands pêcheurs et les barques luisantes...

Et tandis que s'exhale un agreste parfum,
Un agreste parfum de verdure et de terre
De l'ombre où les sapins projettent leur mystère ;
Tandis que, de leur cîme, ils semblent, un à un,
Lancer la flèche grave en geste de prière,

Un arôme grisant de résine et de sel,
De résine et de sel que fond la chaleur blonde,
Flotte autour des grands pins où la cigale abonde ;
Et leur touffe, coiffant les troncs couleur de miel,
Sur un ciel de saphir s'enlève, large et ronde.

Et mon regard, où leur mirage est incrusté,
Se plaît à ces accords comme à ces différences :
Et mon coeur, palpitant de mes rêves en partance,
Joint, dans l'hymne éperdu qu'il chante à la beauté,
Les sapins dauphinois aux grands pins de Provence !

                                         Marguerite Duportal

 


 


                   Crépuscule bref.

 

Le soleil qui se meurt sur la mer enflammée
N'a plus qu'un peu de pourpre à jeter loin de lui ;
Le chemin devient rose ; et, soudain, refermée,
L'anémone s'endort dans le couchant qui luit.

Une poudre d'or mauve ensable la colline
Dont la crête, où l'on voit quelques arbres en rangs,
Par les troncs élancés peints à l'encre de Chine,
Dresse un grillage net sur des lavis mourants...

Ombré d'écume blanche au bord de l'échancrure
Un grand nuage noir s'ouvre au ciel assombri :
Et l'insigne bénit porté par la nuit pure,
La médaille d'argent de la lune sourit.

                                         Marguerite Duportal

 


          Le Souffleur de verre

 

La chaleur du four est à l'apogée :
Le verre bouillant coule du creuset.
Dans son flot pâteux, la canne est plongée...
Il faut que du glauque emploi qu'il faisait
Une forme naisse, éclose, et s'avère,
Et c'est le métier du souffleur de verre.

Il doit, en soufflant dans ce bâton creux,
Gonfler de soleil et de transparence
Le liquide épais, au reflet vitreux ;
Diaphaniser la lourde substance ;
En faire une boule, aux minces parois,
Qu'on vendra demain à quelque bourgeois

Epoumone-toi souffleur de lumière !
Sur le verre opaque, il faut, en soufflant,
Faire se jouer en gammes légères
Du mauve et du bleu, du rose et du blanc...
Sans savoir d'ailleurs quelle destinée
Aura cette bulle, à ton souffle née.

Qu'en fera-t-on bien, de ce frêle objet ?
Habitera-t-il un palais ? Un bouge ?
Ira-t-il servir de globe à quinquet
Ou d'aquarium pour des poissons rouges ?
Et le verrier souffle... et l'on voit son sang
Grossir les canaux de son cou puissant.

Sa poitrine bat. L'oeuvre est meurtrière.
Il flotte dans l'air un déchet mortel
De tube brisé, d'ampoule en poussière...
Et quand l'acharné souffleur d'arc-en-ciel
S'arrête un instant pour reprendre haleine,
L'atome coupant entre dans ses veines.

Qu'importe, verrier ? Souffle la lueur,
Toute la lueur dans ton oeil enclose !
Donne-toi sans trêve à ton humble labeur
Qui seul te réclame et qui seul s'impose.
Tire de ton sein et souffle au grand jour
Tout ce qu'il contient de vie et d'amour !

Et la bulle s'enfle, et l'oeuvre s'achève,
Parfaite à présent... Mais l'homme épuisé
Chancelle : à ceux-là, l'existence est brève.
Comme il est joli ce globe irisé !
Dans la boule creuse, aux reflets de flamme,
Le souffleur de verre a soufflé son âme.

                                   Marguerite Duportal

 

 

Les Pâtres.

 

Les pâtres, qui jamais ne vivent dans la plaine,
Sauf dans les mois d'hiver où rentrent les troupeaux,
S'annoncent par un bruit de sonnailles lointaines
A l'heure où la nuit tombe et répand le repos.

Sans hâte, dévalant les pentes gazonnées,
Les voici, par ce soir d'automne avertisseur,
Qui descendent, guidant la troupe ramenée,
Massif houleux, piqué de taches de rousseur.

Droits au flanc du coteau dans le couchant qui sombre,
Chefs lentement suivis de leur bétail errant,
Ils découpent l'or noir de leur stature sombre,
Et paraissent, d'en bas, démesurément grands.

Les taureaux vont rentrer près des bêtes de somme
Et goûter l'abri chaud des étables de bois ;
Et les pâtres, pareillement aux autres hommes,
Au village habité vont demeurer trois mois.

Mais les parents, les sœurs, les frères, les promises,
Ont une gêne obscure à se rapprocher d'eux :
Leur propre gravité vaguement dépayse
Les pâtres, descendus des sommets hasardeux.

Ils ont perdu le goût des paroles faciles,
Des gestes prompts, du rire et des propos bruyants ;
Et l'on ne voit passer sur leurs faces tranquilles
Que des éclairs sereins plutôt que souriants.

Leurs yeux ont ce bleu pur des sources, des lavandes,
Et du ciel matinal de points blancs étoilé.
Leurs corps sont moins pesants, leurs âmes sont plus grandes
De tout le libre espace autour d'eux déroulé.

Leurs torses et leurs bras n'ont point pris d'attitude
Contraire à la nature en quelque métier vil ;
Ils ont respiré l'air des hautes altitudes,
Marché, dormi, taillé le pain, forts et virils.

Car le pain était dur et la couche était rude,
Et les nuits d'Août, parfois, versaient d'âpres fraîcheurs.
Pour compagne, ils avaient la vaste solitude,
Et la paix pour refuge aux troubles de leurs cœurs.

Ils ont nourri leur âme simple de silence,
Et cela les a faits sains, robustes et beaux.
Et l'on voit à leurs fronts reluire un rêve immense
Qu'ombrage le rebord de feutre des chapeaux.

Et c'est "cela " qui rend les promises timides
Et met presque un respect au baiser des parents :
Les pâtres ont gardé de leur exil splendide
Comme un reflet divin dont ils sont ignorants.

Marguerite Duportal

 


 

 

Jour de pluie, en Octobre, à lzeaux 

Il pleut. Nulle tristesse égoïste n'entame
Le contentement pur et serein de mon âme.
Je regarde, paisible, et pas même ennuyé,
L'horizon s'assombrir à mon carreau rayé.
Du ciel gris, du ciel bas, l'eau tombe, fine et drue.
L'azur est loin... toute lumière est disparue...

Je songe au laboureur, dont le front, soucieux
Se déride, et qui sent, divin bienfait des cieux,
Grâce aux torrents bénis rendant sa tâche aisée,
La terre s'amollir comme un cœur d'épousée.

Sous la charrue au soc puissant.
Demain, elle s'ouvrira toute,
Et les bœufs traceront la route
Au labeur sage et bienfaisant.
On verra les lents attelages
Mettre au loin dans le paysage
Leur ligne simple et leurs tons roux ;
Et les après-midi d'Octobre,
Tièdes sous un soleil plus sobre,
Rayonneront d'un charme doux.
L'automne, aux mains dispensatrices
De générosités propices,
Aura quelques derniers beaux jours
Pour l'oeuvre sainte des labours.

Et moi, près d'un feu clair dans la cheminée ample,
A deux pas du jardin que mon regard contemple,
Loin de la ville dense, ayant, dans ma maison,
Tout ce que de clarté peut donner la saison ;
A l'abri des fâcheux dont la cité fourmille,
L'esprit tout égayé par mon bois qui pétille,
Je m'allonge à loisir dans un bon vieux fauteuil.
Sous ma main, sur la table où je jette un coup d'œil,
Sont mes silencieux et chers amis, les livres,
A qui je dois la force et la douceur de vivre.
Tout à l'heure, avec eux, la lampe s'allumant,
Je finirai ce jour délicieusement.
L'angélus tintera, dans la nuit calme et bonne,
Ses neufs coups, qu'un bouquet de sons légers couronne ;
Et, savourant des biens qui me coûtent si peu,
Mon être se fondra de gratitude en Dieu.

Marguerire Duportal